Mes chers amis nous voilà réunis autour d’un ouvrage où certains
découvriront peut-
être des aspects
méconnus de ma vie de vieux militant syndicaliste et politique .
Je croise certains d’être vous dans d’autres cercles, sur d’autres
thèmes mais il n’est
certainement pas
inintéressant pour vous de
découvrir ce qui a forgé l’homme que je suis
aujourd’hui.
Comme vous le savez des
rencontres ont fait de moi un historien (Merci
Jacques !)…Mais j’espère que les vieilleries dont je
vous parlerai dans ce livre feront
lien avec les difficiles réalités actuelles
Puisqu’il le faut plongeons dans cet ouvrage qui se présente comme la suite de celui que j’ai publié en
avril dernier « François Mitterrand , le Nivernais (1946-1971) La
conquête d’un fief » qui mettait en évidence mon implication personnelle avec celui qui
devient en juillet 1971 le vainqueur du congrès du Parti socialiste à Epinay .
Notre
collaboration établie dans la
Nièvre se poursuit de 1971 jusqu’en 1981. Elle me place en poste de médiateur
entre le monde syndical de l’enseignement auquel j’appartiens et le nouveau
secrétaire du PS avec l’ambition
d’établir avec lui des relations étroites.
Un objectif :
Construire un projet éducatif
Cette construction se replace au sein d’un monde enseignant très divisé au plan politique et au
plan corporatif.
L’expression de ce monde se fait par la voix de syndicats
d’enseignants très représentatifs groupés au sein d’une fédération la
Fédération de l’Education Nationale (FEN) .
Parmi ceux-ci deux syndicats très
importants : l’un qui syndique les professeurs du second degré (le SNES)
de la clase de 6e à la terminale ; l’autre le SNI qui syndique
en majorité les instituteurs mais qui empiète sur le second degré de la 6e à la
3e et se trouve de ce fait
en concurrence pour la syndicalisation sur le collège avec le SNES .
Une force syndicale et politique de
500 000 adhérents groupés dans la FEN dont 300 000 au SNI (un adhérent dans
chaque village de France) très opposée à la droite.
Ce qui n’est pas sans laisser
indifférents les 2 partis de gauche qui, bien qu’unis par un programme commun
en juin 1972, n’en sont pas moins en concurrence. En 1971 le Parti communiste domine
largement sur le plan
électoral un Parti socialiste
nouveau qui va s’appliquer à
réduire cette influence .
La
compétition entre les deux partis
va apparaître dans le combat pour l’école
autour question de ce doit être le collège :
- Vision du
Second degré : (SNES) le bac se prépare dès la 6e donc
nécessité de la mise en place d’une structure continue de la 6e à la
classe terminale
- Vision
du Premier degré : (SNI
) nécessité de la mise en place
d’une structure continue l’école fondamentale ( de la maternelle à la classe de
3e sans rupture au niveau de la 6e ) en fidélité au plan
Langevin- Wallon de 1947 issu du comité national de la Résistance et qu’on
retrouve aujourd’hui dans la mise en place du socle de connaissances et de compétences sur 7 paliers
indissociables .
Le Parti
communiste soutient le SNES et son projet de second degré.
Le Parti
socialiste soutient le projet
du SNI même si certains membres du PS ont des sympathies pour le
projet du SNES.
Le Parti communiste
a depuis 1973 un solide
projet éducatif.
Seul en face de ce projet le projet d’école fondamentale du
SNI .
Le Parti socialiste a bien amorcé
une réflexion dans une partie de son programme « Changer la vie » en
mars 1972 mais il lui faut construire un projet éducatif autonome aussi solide que celui du PC avec lequel il fait déjà jeu égal en
1973 dans les urnes.
Le mouvement Ecole et socialisme
dont je suis le secrétaire général se met en place en février 1973 . Il
a pour objectif de travailler concrètement à l’élaboration d’un projet éducatif qui puisse rapprocher le PS et le SNI en vue d’éviter
la suprématie dans ce secteur du
Parti communiste .
Je suis chargé, dans un premier temps, d’organiser des rencontres communes
entre François Mitterrand le SNI et la FEN pour qu’une empathie efficace
s’établisse
Ecole et Socialisme s’implante dans 55 départements ; ces groupes départementaux que
j’anime mène une réflexion qui se déroule de manière très active de 1973 à
1975, porté par la publication d’
un bulletin que remplace en décembre 1975 la revue trimestrielle Ecole et Socialisme. Celle-ci reçoit la collaboration de pédagogues de
renom comme Louis Legrand . Une revue qui deviendra la revue du PS traitant des
problèmes éducatifs qui paraîtra 20 ans durant (dernier numéro en novembre 1994)
Ces années de création et de recherche furent des années de
vrai bonheur ; nous mettions
en marche une dynamique dont nous sentions qu’elle allait changer la France et
peut-être -croyions-nous - la face du monde.
L’entrée en jeu de François
Mitterrand dans ce combat est marquée lors du colloque Ecole et Socialisme tenu
à Cachan les 22 et 23 février 1974 Il pose une équation : « Pour changer la société
faut-il changer l’école ? Ou devons-nous attendre que la société soit
changée pour changer l’école ? Par quel bout commencer ? »
Au cours d’une journée nationale des enseignants socialistes à
Clichy le 11 mai 1975 le premier secrétaire du parti invite les participants à
répondre de manière coordonnée à l’interrogation ci-dessus lancée ; mais
il faut pour cela regrouper ses forces et il demande aux membres de son parti d’apporter son appui à la
FEN qui groupe tous les syndicats d’enseignants dressant un rempart pour éviter
qu’elle tombe entre les mains du
Parti communiste.
« La FEN
est soumise – dit-il- aux
ambitions politiques à travers le tamis des responsabilités syndicales ;
elle ne doit pas tomber entre les mains politiques (sous entendu celles du PC
) » et il invite les
enseignants à réfléchir à
l’établissement d’un projet global d’éducation afin que ceux- ci retrouvent une
cohérence dans leur engagement .
Me voilà, tout en poursuivant mes
activités pour animer dans l’enthousiasme
le mouvement Ecole et Socialisme,
commis à la demande de François Mitterrand à la rédaction d’une note
hebdomadaire en sa direction visée chaque fois avant l’envoi par les secrétaires généraux de la FEN
et du SNI, rendant compte de la
situation quotidienne de ces deux organisations et ceci jusqu’en mars 1979 .
120 notes que j’ai conservées, recouvrant 300
pages, que je vais publier chez l’Harmattan appuyé par l’Institut François
Mitterrand.
Je souhaite que nous ayons, à une
date encore imprécise, le même plaisir qu’aujourd’hui de nous retrouver dans
les mêmes lieux pour la présentation de ce 3e ouvrage.
Le projet socialiste d’éducation est publié juste avant les élections
législatives de 1978. La gauche est susceptible de gagner ces élections. Une
majorité à l’Assemblée nationale
pourra alors mettre en application les dispositions de ce projet.
Celui-ci comporte un chapitre
concernant la nationalisation de l’enseignement privé.
La droite et l’enseignement
catholique déclenchent une
offensive qui durera 7 ans et qui verra sa conclusion en juillet 1984.
Je relate le
déroulement de ce débat laïque à l’aune du grand service public de
l’éducation où je suis directement investi puisqu’en mars 1979 comme secrétaire national du SNI chargé de ce dossier .
Je reste responsable de ce secteur jusqu’en juillet 1981 où
je démissionne de mes responsabilités.
Je fais dans cet ouvrage une
longue analyse qui explique la raison de ce choix.
Je viens de vous donner les
éléments pour lire ce livre à partir de l’implication de François Mitterrand
mais une autre lecture est possible plus intéressante peut-être . On suit
l’élaboration d’un projet dont on voit, 40 ans après, l’actualité de l’école
fondamentale qui trouve aujourd’hui sa concrétisation en France, mais aussi en Europe, avec l’instauration d’un socle commun de compétences et de
connaissances que l’école se donne comme ambition de faire acquérir aux jeunes
à 100% à la sortie de leur scolarité obligatoire . Ainsi dans une loi la France
s’engage à ce que sans rupture au
fil de la maternelle , de l’élémentaire et du collège, se construise ce que nul
n’est sensé ignorer pour réussir sa vie.
Je pense pour terminer à
l’enfance dont Saint-Exupéry disait « ce grand territoire d’où chacun est
parti… « D’où
suis-je ?- écrivait-il- Je suis de mon enfance comme
d’un pays ».
Il en est ainsi pour moi et mon pays c’est l’Auvergne . Fils de mineur , je suis lié à mon pays minier qui m’a
amené à bénéficier de l’aide des instituteurs avec leur mission d’aider à
l’ouverture sur le monde pour les
enfants les plus humbles afin de faire surgir chez eux les possibilités de
s’émanciper malgré cela ou à cause de cela . La proximité ouvrière leur
imposait de faire accéder au savoir ceux dont ils avaient la charge pour
transformer le monde . Il en est résulté pour moi l’ardente obligation de
donner aux autres les mêmes chances que celles qui m’ont été offertes pour s’en
sortir avec à la clé la nécessité de rester fidèle à ses origines .
J’ai toujours gardé la conscience
de la richesse de ce monde où la fraternité éprouvée au fond de la mine face au
danger irriguait notre existence comme un fleuve vital. Mais j’ai aussi gardé
la conscience de classe, impitoyable rigueur dans le combat à mener contre ceux
qui accumulent leurs richesses sur l’exploitation du peuple au travail et à la
peine.